En Chine, et notamment à Shanghai, je m’étais à plusieurs reprises rendu dans les quartiers défavorisés de la ville. Dans ces quartiers où ne se trouvent pas -ou peu- de « laowai » (étrangers), il n’y a rien de « spécial » à voir. C’est seulement une opportunité pour découvrir un autre visage de la Chine, et ce n’est déjà pas rien! Selon ma propre expérience, cela a aussi été l’occasion de rencontrer d’autres classes sociales et, le temps d’un déjeuner dans la rue, d’échanger tant bien que mal malgré la barrière de la langue. Je me suis toujours rendu seul dans ces quartiers, à Shanghai ou Hangzhou mais également dans d’autres villes du pays. J’y passais souvent du temps, parfois à observer les gens vivre, « seulement » diront certains, mais c’est déjà beaucoup et c’est souvent très intéressant. Parfois, je me retrouvais également dans ces quartiers sans le vouloir. Je me rappelle de cette soirée de mai 2008 pendant laquelle, souhaitant prendre un raccourci pour rentrer chez moi, je me suis retrouvé dans ces étroites rues, assez pauvres, de Hangzhou. Mais à chaque fois, que je m’y rende volontairement ou non, je me suis toujours senti en parfaite sécurité. Je n’avais aucune inquiétude à avoir pour mon téléphone portable, mon argent ou même ma vie.
Depuis 10 mois je suis sur un autre continent et dans un autre pays : au Brésil. Ici, les « quartiers défavorisés », ou bidonvilles, s’appellent « favelas », et celles-ci sont connues à travers le monde à cause de faits divers plutôt sordides. Ainsi, pour la plupart des étrangers que nous sommes –mais aussi pour de nombreux Brésiliens- « favelas » rime avec « violence ». Pourtant, même s’il peut y avoir de la violence dans certaines favelas, ces quartiers ne se résument évidemment pas à ça. Ces favelas sont aussi des zones d’habitations, de partage, de culture -notamment musical-, de joie, d’échange, d’apprentissage, de sport et de fête. Bref, ce sont des quartiers qui composent une ville, comme tant d’autres. La seule différence est qu’il y a malgré tout de la violence et qu’on ne peut pas l’ignorer. Et même si la plupart des habitants n’ont pas choisi d’y vivre –les conditions de vie ne sont pas des plus simples-, certains (quel pourcentage ?) s’y sentent bien et ne cherchent pas à en partir.
Ces favelas, je les vois quotidiennement. Que ce soit pour me rendre au travail ou pour aller dans les quartiers animés de Rio, je passe forcément devant plusieurs d’entre elles. Je passe à proximité de la Cité de Dieu (Cidade de Deus), connue pour un film du même nom, ou devant Rocinha, la plus grande favela d’Amérique du Sud. Et pourtant, je ne connais pas du tout ces coins de la ville. Je ne m’y suis jamais arrêté malgré mon désir de m’y rendre. Dans mes précédents voyages, la précarité d’un quartier ne m’avait pourtant jamais arrêté. Avec le même objectif qu’en Chine : apprendre à mieux connaître le pays qui m’accueille depuis 10 mois, rencontrer des personnes que je ne croise pas forcément dans mon cercle de copains et découvrir la vie sociale de ses quartiers et leur fonctionnement. En un mot, mieux comprendre le Brésil et Rio de Janeiro à travers la découverte de la vie de quartier que j’ignore totalement (c’est la vie de ces quartiers que j’ignore, pas les quartiers, évidemment). Malheureusement, à Rio de Janeiro, il est fortement déconseillé de se balader seul dans les favelas. En effet, cela peut s’avérer dangereux, surtout pour un « gringo » (étranger) comme moi, plutôt grand, aux yeux bleus et aux cheveux clairs ; impossible de passer inaperçu.
Conscient que les étrangers –mais aussi grand nombre de Brésiliens- ne peuvent pas se rendre librement et sans risque dans les favelas, des « agences » ont été créées. Celles-ci proposent des « visites guidées » des favelas, généralement de Rocinha. Une partie de la visite est faite en voiture, l’autre à pied. La bonne implantation des guides dans les favelas et leur excellente connaissance de celles-ci diminuent les risques d’agressions. Généralement, ces agences participent au développement social de ces quartiers, financièrement et/ou physiquement. Elles participent –enfin, elles le disent- à un développement positif des conditions de vie dans les favelas. Lors des visites, les guides évoquent les côtés sombres des favelas, mais aussi les points positifs, les bonnes initiatives et les perspectives d’évolutions.
Mais personnellement je ne peux pas aller « visiter » une favela avec un guide comme ça. Ma conscience m’en empêche. Mon éthique aussi. « Visiter » une favela avec un guide ne s’apparenterait-il pas à « une visite de zoo » ? Cela manquerait cruellement d’humanité. Alors certes, on peut aussi visiter un centre-ville historique avec un guide, mais je trouve que cela n’est pas comparable. Aller faire une visite guidée d’une favela n’est-il pas simplement du voyeurisme ? N’est-ce pas la situation qui débouche sur des réflexions sommaires telle que « ho les pauvres, ils n’ont pas de chances » ou « les conditions de vie ici ne sont quand même pas facile » ? Bref, personnellement, je ne peux pas, je ne veux pas, me rendre dans une favela avec un guide sans me poser des questions sur le bien-fondé de cette visite.
L’idéal pour découvrir ces quartiers de Rio serait de s’y rendre avec des gens qui y habitent, mais je ne connais pas assez bien les personnes qui y vivent et que je croise de temps en temps.
Alors, que faire ? Tirer un trait sur la découverte de cette partie de Rio de Janeiro, et donc se contenter des quartiers plus riches ? N’est-ce pas dommage pour bien comprendre le pays qui m’accueille ?
Et vous, que feriez-vous si vous étiez à Rio ? Décideriez-vous de ne pas visiter les favelas car vous ne pouvez pas vous y rendre seul ? Ou, au contraire, auriez-vous tendance à vous tourner vers les agences qui y proposent des visites ? Pour vous, se rendre, accompagné d’un « guide », dans les favelas est-il du voyeurisme ou au contraire cela peut-il aider à mieux comprendre les enjeux locaux et les questions sociales ? Si vous habitez ou voyagez au Brésil, vous êtes-vous rendu dans les favelas ? Pourquoi ? Si oui, qu’en avez-vous retenus ? Certains disent « oui, mais les agences aident des associations locales, alors je peux m’y rendre », mais n’est-ce pas simplement un moyen de se donner bonne conscience ?
Até logo,
11 Comments
Pas facile de dire ce que je ferai ou non à quelques milliers de km. Mais en lisant ton article, au moment où tu parles de ces agences, j’ai eu la même pensée que toi : le parallèle avec un zoo !
Partant de ce principe, je ne pourrai pas m’y rendre dans ces conditions…
J’ai eu l’occasion de voir des favelas de près, mais c’était des favelas réputés comme assez sur, avec des personnes qui connaissaient, et pas a Rio : c’était dans le NordEst.
Utiliser un guide pour aller visiter des habitations, cela peut paraitre bizarre.
Mais si c’est le seul moyen d’aller voir, dis toi que tu verra justement surement autre chose que des habitations.
Je n’ai pas fait ce genre de visite lorsque j’étais a Rio, mais j’espère que justement ce genre de visite casse le mythe de la favela sans autre culture que la violence et la pauvreté.
@Fjord : Faire le parallèle avec le zoo revient justement a dire qu’il n’y a que des gens pauvres a voir dans le favela.
Tu ne pense pas a ça si je te dis que j’ai pris un guide pour visiter Paris ? Parce que tu sais qu’il y a autre chose a voir a Paris que des parisiens (et heureusement 😉
Et n’y allant pas, cette image ne peut que rester dans ta tête.
@Yoyo : bien sur que non, je ne pense pas qu’il n’y ait que des gens pauvres à voir dans les Favelas…
C’est seulement le principe de ce genre de visite qui me dérange.
Je développe :
Ta visite de Paris avec un guide se résume à quoi ? L’architecture, l’art, l’histoire ! Tu ne t’attardes absolument pas sur la vie des gens qui y habitent !
Ta visite d’une favela est, elle, basée sur quoi ? Quel en est le thème central ? La vie des gens dans ces quartiers, non ? Même si il n’y a pas que ça, évidemment !
Si quelqu’un qui habite une favela me fait visiter son quartier, me parle des points positifs, négatifs, des personnes qui partagent son quotidien. Alors ok, pas de souci, lui-même me « raconte sa vie ».
Mais si quelqu’un de l’extérieur le fait « à sa place ». Pour moi, c’est totalement différent !
Ce genre de visite me fait penser aux « réserves d’indiens » qui s’apparentent aussi à des zoo pour moi ! Tu es dans un bus et tu les regardes « évoluer »… Je caricature volontairement !
Mais ce que je veux dire c’est que la richesse d’une rencontre ou de la découverte de ce que l’on ne côtoie pas tous les jours, c’est de partager et d’échanger avec les « locaux »…
Ça n’a pas du tout le même sens quand il y a un intermédiaire extérieur !
Tout ce blabla pour pas grand chose, c’est juste mon opinion ! Je ne réduis absolument pas les favelas à des pauvres gens. Je trouve simplement qu’il est regrettable de ne pas pouvoir y aller seul et de devoir passer par ce genre d’agences…
PS : bon anniversaire Steph ! 😉
@Fjord : Quelqu’un t’apporte dans la Favela. Rien ne dit que tu ne communique pas avec les gens.
Je pense qu’ils doivent te montrer la culture de la Favela.
Dans tous les cas, je suis curieux. Et même si il faut absolument un guide pour accéder à un endroit, je n’hésiterais pas.
Bon dans tous les cas, il y a bien que les étrangers qui veulent aller « visiter » les favelas. Es-ce que ca vous viendrait a l’idée d’aller visiter une cité de banlieu ?
@Yoyo : peut-être, effectivement, que tu communiques avec les gens durant ces visites. Et je l’espère mais pas dans la partie « en voiture »; c’est sur !
En ce qui concerne les cités de banlieue. J’ai des amis qui y habitent… Donc, j’ai déjà « visité » mais il ne me serait jamais venue à l’idée de prendre un guide pour ça ! 😉
Idem quand je suis allée à New-York, j’habitais à Harlem à une station du Bronx… Pas de guide non plus pour m’y rendre !
Il en va donc de même pour les favelas ! 🙂 … Soit, je rencontre quelqu’un qui accepte de me faire découvrir son quotidien dans son quartier, soit tant pis, je ne prendrai pas de guide !
Même si je te l’accorde, il est intéressant de voir ce qu’il s’y passe réellement et pouvoir faire la comparaison avec toutes les horreurs que l’on raconte dans les médias…
Je suis d’accord avec toi pour le principe agence = voyeurisme. Et je ne ferais jamais ca. En disant cela à un bresilien, il m’a confié tout bas que ce genre de chose étaient faites pour les gringos, les touristes par excellence quoi.
Cela dit, même si nous on considere cela comme du voyeurisme, je ne crois pas que les agences ou meme les bresiliens le prennent aussi mal. Ici au Bresil c’est un peu comme ce que j’ai pu voir en Afrique : tant que ca peut rapporter de l’argent pour arrondir les fins de mois difficils, é bom.
Du coup, je ne blame pas ceux qui font appel a des agences mais perso, j’irai dans une favela quand j’aurai des pote la bas (bientot j’espere!).
Merci à tous pour vos commentaires et débats. Pas simple !
Aissatou, oui ces agences sont destinés aux gringos avant tout, car quand on habite depuis toujours dans une ville et qu’on y a grandi, on ne « visite » pas la ville, que ce soit les favelas ou autres. Je connais plusieurs Cariocas qui n’ont jamais mis les pieds au Pain de Sucre, au Corcovado ou au Jadrin Botanique. Tout comme de nombreux Parisiens n’ont probablement jamais été à la Tour Eiffel.
Souvent, la découverte d’une ville est différente entre des touristes et des locaux.
Evidemment. Mais ce bresilien il me parlait d`un certain type de touriste different du style routard ou vagabon qui est moins tente par ce type d`excursion…
Mais sinon j`ai rencontre un indien qui m`a dit avoir visite une favela avec une amie comme il aurait visite le pain de sucre genre appareil photo en main sans aucun probleme (bien au contraire)… Courageux
alors, cette favela, visitée ou non ?
personnellement je serai pour y aller avec le guide puis y revenir seul si possible.
au fait : toujours au brésil ?
Zimm,
Oui, j’y suis allé, avec une copine qui habitait la bas et qui m’a montré ou elle habitait.
Par contre je ne suis plus au Brésil, je suis rentré en France en 2013 😉