Brésil - Humeurs et analyses

Les violences de certaines favelas de Rio de Janeiro

8 novembre 2009

Rio de Janeiro est une ville dans laquelle la violence est importante, et tout le monde le sait. Cela n’est pas nouveau, ça dure depuis des décennies. Je pense qu’il y a deux grands types de violence ici : celle entre les gangs du narcotrafic (principalement dans les favelas) et celle des agressions touchant potentiellement tous les habitants de la ville.

Depuis le 17 octobre, les violences des gangs font la une de l’actualité au Brésil mais également dans le reste du monde. Vous êtes d’ailleurs nombreux, en France, à m’avoir demandé des informations sur ce sujet, voire à vous inquiéter pour moi. Rassurez-vous, je vais bien et je suis « loin » des violences qui éclatent actuellement.

Pourquoi les médias parlent-il autant des violences actuelles ? D’abord et avant tout car les Jeux Olympiques de 2016 viennent d’être attribués à la « cidade maravailhosa ». Du coup, tout le monde s’inquiète et les yeux du monde sont tournés vers Rio de Janeiro, pour quelques semaines ou mois. Les scènes de joies sur la plage de Copacabana qui ont fait le tour du monde début octobre ont été remplacées par des images de policiers armés jusqu’aux dents, d’un hélicoptère abattu et de bus en feux. Deux réalités bien différentes de Rio, deux réalités qui cohabitent tant bien que mal.

Dans les jours qui ont suivis les débuts de cette vague de violence, j’ai demandé à des Brésiliens leur avis sur la situation. Beaucoup m’ont répondus « mais ça arrive tout le temps à Rio ça, malheureusement c’est une situation habituelle. Cette fois-ci tout le monde en parle car on vient d’obtenir les JO 2016, mais tous les jours il y a des violences ici ». Cela est en partie vrai, mais en partie seulement.

Il semblerait en effet que la situation actuelle ne soit pas si simple. Bien sûr, si je peux dire, cela arrive régulièrement et les meurtres sont « choses courantes » ici : il y aurait pour le simple état de Rio de Janeiro (14 millions d’habitants) environ 6 000 personnes abattus tous les ans, soit 16 personnes chaque jour. Mais en creusant davantage, en étant plus précis, plusieurs Brésiliens m’ont donnés une autre vision des choses. L’un d’eux m’expliquait que dans la plupart du millier de favelas de Rio, les policiers ne peuvent plus y mettre les pieds, ce sont devenu des zones de non-droit aux mains des narcotrafiquants. Les enfants qui y vivent n’ont pas de repères et pour eux, leur environnement (drogue, violence, etc.) est « normal ». Conscient que cela n’est pas bon pour le futur, le gouvernement essaie de mettre en place une « police pacifiante » (c’est le nom que m’a donné le Brésilien) dans plusieurs favelas, pour montrer autre chose aux enfants qui y grandissent, pour essayer de leur proposer une « autre alternative » que de suivre leurs aînés dans le trafic de drogue (attention, je ne dis bien évidemment que tous sont trafiquants !!! Seulement que tous connaissent, de près ou de loin, des trafiquants). Mais bien sûr, cette « police pacifiante » n’est pas appréciée de tous…et cela tourne parfois assez mal. D’après des « informations sécurités », les prochains mois risquent animés et il faut éviter à tout prix certaines favelas. Ce même Brésilien insistait sur les différentes réalités qui existent à Rio : d’un côté la « belle vie » dans la citée merveilleuse et de l’autre celle de cette importante violence partout autour des quartiers calmes. Rio ce n’est pas seulement les cartes postales que l’on voit en France avec de la plage, le Pain de Sucre, le Christ Rédempteur et les jolies filles. Cette réalité en côtoie une autre autrement plus difficile, plus violente, plus sanglante.

Les événements qui ont éclatés dans la deuxième quinzaine d’octobre sont une conséquence indirecte de cette (tentative) de reprise de contrôle. Les policiers s’installant dans certaines favelas, les anciens gangs en place sont obligés de se déplacer dans d’autres favelas pour trouver un nouveau marché. Mais, bien entendu, ces favelas ont déjà des narcotrafiquants, donc des violences éclatent entre eux. D’un côté certains essayent de défendre leur terrain et d’un autre côté des gangs essaient de prendre le contrôle d’une nouvelle favela. Le week-end du 17-18 octobre, les forces de l’ordre avaient pour mission d’empêcher l’affrontement entre le gang en place et celui qui voulait prendre le contrôle. Ils étaient informés d’une « attaque » d’un gang sur une autre favela et ils ont essayés de fermer les accès à la favela pour éviter le bain de sang. Ca n’a malheureusement pas fonctionné.

Tous les Brésiliens avec qui j’ai discuté « en profondeur » de la situation des favelas m’ont dit qu’il fallait avoir une volonté politique plus importante, qu’il fallait avoir des actions d’insertion sociales fortes pour proposer aux habitants une alternative à la violence et aux trafics. Pour aider ses habitants à s’en sortir et pour « transformer les favelas en banlieues » comme déclarait Lula en octobre. A la question « ces événements arrivent-ils si souvent que ça ici ? Si oui, pourquoi la presse Brésilienne en parle autant ? », ils m’ont répondu que des événements d’une telle violence arrivaient de temps en temps, mais que ce n’est pas une situation habituelle comme le disent certains locaux. Ils dénonçaient aussi les pratiques de journalistes profitant de ces violences pour aggraver la situation de manière à faire vendre du papier ; méthodes malheureusement universelles…

Enfin, les Brésiliens me disent qu’un des gros problèmes de Rio pour éradiquer ces violences est la corruption de la police. D’après Sergio Cabral, le gouverneur de Rio, il y aurait plus de 10 000 policiers corrompus dans les rangs de la police militaire Carioca. Outre une méfiance, voire une peur, de la police, cette corruption favoriserait les trafics en tout genre.

Le problème de la violence à Rio est réel, les événements dont vous avez eu des échos en France le rappellent. Les Cariocas ont sont conscient et beaucoup en parlent ouvertement et facilement, ont des avis sur la situation actuelle, des idées pour améliorer les choses, etc. Ce n’est pas simple, mais souhaitons de tout cœur plein de réussite dans ce challenge. Même si ça passera malheureusement par de nouveaux morts, notamment car les méthodes policières locales sont assez violentes.

Même s’il date un petit peu (2004), je vous conseille le documentaire de France 4 intitulé « Rio, sur la route de la peur ». Ce reportage d’une heure, est programmé sur France 4 le 08 novembre à 21H30 et le 14 novembre à 19H00 ; vous pouvez aussi le trouver sur internet. Je vous recommande également un article intéressant de Lamia Oualalou, journaliste, sur les favelas, celui-ci est intitulé « Les larmes de Rio de Janeiro ».

Enfin, je rappelle que ce blog est mon ressenti personnel et, notamment dans cet article, les avis dont m’ont fait part des Brésiliens. Je ne prétends pas détenir la vérité absolue, donc si vous n’êtes pas d’accord, faites nous en part, ça n’en sera que plus enrichissant pour tout le monde !

Até breve,

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7 Comments

  • Reply Thomas 8 novembre 2009 at 19h11

    Merci beaucoup Steph’ pour cet article complet, et pour les liens vers notre petit écran. C’est une situation vraiment délicate et qui, d’après moi, se retrouve un peu universellement sous différentes formes partout dans le monde…

    Merci et prompt rétablissement!! =)

    see ya

  • Reply Joseph 9 novembre 2009 at 19h11

    Salut Stéphane,

    Sans détenir la vérité absolue, je souhaite dire que les Brésiliens sont responsables de leur propre malheur et qu’ils coupent les cheveux en 4 au lieu de s’attaquer au fond du problème. Selon moi, cette violence récurrente à Rio (et pour les grandes villes brésiliennes en générale) est le résultat de 3 facteurs intimement liés:

    1) Une absence totale de volonté d’améliorer la société de la part des hommes politiques brésiliens: Ils ne pensent qu’à piller les deniers publics et n’utilisent les catégories sociales défavorisés à leur profit uniquement en période électorale (il faut savoir que le vote est obligatoire au Brésil). Donc, qui contrôle les classes populaires s’assure l’élection. Pour enrayer ce clientélisme d’urne, il faudrait arrêter avec le vote obligatoire, mais vous pensez bien qu’AUCUN homme politique brésilien ne prendra cette initiative.

    2) Une corruption policière endémique, principalement à Rio et ce du plus bas de l’echelle jusqu’au plus haut. La politique de « pacification » des favelas sera un échec cuisant. Il faudrait prendre exemple sur des cas de succès comme Bogotá em Colombie, qui était un coupe-gorge il y a 10 ans et qui est aujourd’hui une ville agréable à vivre.

    3) Enfin, le système éducatif brésilien est médiocre, principalement l’école primaire. Lula investit dans les universités car cela coûte peu, les effets politiques sont immédiats et il se fait bien voir au niveau international. Cepdt, je pense que « quand on ouvre une école, on ferme une prison ». Il faudrait donc investir ds l’excellence du système éducatif primaire. Cela réduirait les inégalités et cela permettrait aussi d’éradiquer la violence. Le problème, c’est que c’est un travail de longue haleine, cela serait bcp + couteux et cela ne produirait d’effet politique qu’au bout de 12 -15 ans. Difficile de signer quand le mandat présidentiel brésilien est de 4 ans.

  • Reply Stephane 9 novembre 2009 at 21h11

    Salut Joseph,

    Merci pour ton (long) et intéressant commentaire. Soit dit en passant, je viens d’augmenter de 2 000 à 10 000 caractères la limite d’un commentaire, pour que tu puisses t’exprimer entièrement 😉

    Les points 1 et 2 montrent le problème de la corruption, éternel problème des pays en développement (et aussi largement présent dans les pays dit développés, pas de doutes la dessus…).
    Tes points 1 et 3 montrent les « limites » de la démocratie, c’est à dire gouverner de manière à faire plaisir immédiatement pour gagner les prochaines élections, et non pas gouverner en ayant une vision à long terme. Celle-ci permettrait pourtant de faire évoluer le pays en profondeur, de le préparer à l’avenir et d’enrayer les difficultés actuelles. Mais qui oserai se bruler les ailes avec des mesures impopulaires ou des mesures à effets visibles seulement 10 ou 15 ans plus tard ? Personne, malheureusement. Alors, comment faire ?

    Joseph, toi qui est au Brésil depuis quelques années, que vois-tu comme avenir pour les favelas ? Penses-tu que les hommes politiques vont finir par s’attaquer au fond du problème ou crains tu au contraire que la situation que tu décris reste d’actualité de nombreuses années ? Quelles idées et solutions « envisageables » (c’est-à-dire possible avec le système politique actuel) as-tu ?

  • Reply Joseph 10 novembre 2009 at 12h11

    Salut Stéphane,

    Pour répondre + précisément à tes questions, voici quelques pistes pour améliorer le Brésil:

    1) Ne pas croire aux hommes politiques. Le Brésil est ce qu’il est aujourd’hui grâce à ses immenses ressources naturelles mais aussi grâce à la culture industrielle d’une élite d’entrepreneurs brésilien apparue dans les années 50 (époque du président Kubitschek).

    2) Amener l’Etat de droit dans les favelas en faisant table rase des méthodes actuelles qui ne fonctionnent pas et qui n’engendrent que sang, haine et larmes. A ce titre, pour ceux qui parlent portugais, je recommande la lecture du lien http://veja.abril.com.br/40anos/megacidades/favelas.shtml

    Il faudrait notamment prendre exemple sur des villes comme Bogotá (Colombie) qui est un modèle de réussite concernant la baisse de la criminalité depuis maintenant 15 ans. On voit bien que volonté politique, éducation, développement économique et baisse de la corruption sont des conditions sine qua none à l’amélioration de la sécurité publique.

    3) Enfin, il faut que les brésiliens arrêtent de se voiler la face et qu’ils aient le courage de regarder les choses en face: la situation au Brésil était mauvaise il y a 15 ans. Elle s’est aujourd’hui nettement améliorée, mais ce n’est pas une raison pour crier victoire, à moins de vouloir se contenter du minimum syndical.
    Plus personnellement, je crois que cet état d’esprit de « faire le minimum », de ne « pas trop se fatiguer » est un fait avéré au Brésil. Pour tout dire, ce « m’enfoutisme » est même consacré par la propre constitution fédérale brésilienne. Sa rédaction rapide et l’empressement des constitutionnalistes à voloir protéger les citoyens après les abus de la dictature militaire à donner lieu à un excès de liberté sans aucune contrepartie. Un exemple? dans la consitution fédérale brésilienne de 1988, le mot « droit » des citoyens apparait 76 fois; le mot « devoir », 4 fois!
    Ceux qui ont lutté pour la démocratie au péril ou parfois même au prix de leur vie savent qu’à trop garantir sans contrepartie, on aboutit à ne plus rien protéger du tout. Cela devient une démocratie « fast-food », qu’on utilise à outrance pour certains points (notamment le juridique) sans faire son travail individuel de citoyen. N’en déplaise à ceux qui l’encense á l’étranger, ce n’est pas malheureusement pas avec les 2 mandats de Lula que les choses ont changé.

    Pour résoudre cela, il faut que les brésiliens puissent acquérir une conscience politique (ce qui passe par + d’éducation) mais il faut surtout que les hommes politiques arrêtent de mentir et qu’on explique clairement aux administrés que pour se développer, pour prospérer et pour devenir une nation riche, il n’y a pas d’autre chemin que le travail digne et honnête.

  • Reply Stephane 10 novembre 2009 at 22h11

    Salut Joseph,

    Un grand merci pour ton commentaire et ton avis, très intéressant. J’avoue ne pas être ici depuis suffisamment longtemps pour sentir tout ça, j’espère que cela changera au cours des prochains mois…
    Merci encore pour ton message et si d’autres personnes veulent donner leur avis, cet espace leur est ouvert !

  • Reply gina 1 juin 2010 at 5h06

    Hello, petite remarque, je parlerais de « police pacifiante » et pas « pacifique ». Leur objectif est de « pacifier » les favelas = en reprendre le contrôle. Les méthodes, elles, sont tout sauf pacifiques ! Tu as vu le film Tropa de Elite ?

  • Reply Steph 1 juin 2010 at 22h06

    Salut Gina,

    Merci pour ta remarque judicieuse, j’ai effectué la modification dans l’article.

    Je n’ai pas encore vu le film Tropa de Elite, mais je veux vraiment le voir. J’ai vu le plus classique « La cité de Dieu », c’est tout.

    Até logo,

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