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« Guerre » à Rio de Janeiro, ou la difficile pacification des favelas

26 novembre 2010

C’était il y a exactement un an, je réagissais aux violences qui éclataient dans certaines favelas de Rio de Janeiro. Une année s’est écoulée depuis mais les violences reviennent au premier plan de l’actualité Brésilienne et les médias étrangers en parlent également.

La principale différence avec la situation d’octobre 2009, c’est que cette fois ci les crimes ne sont pas cantonnés aux seules favelas. Cette fois-ci elles sont certes au cœur des principaux affrontements, mais la violence touche également d’autres zones de la ville.

Depuis dimanche dernier et le début de cette nouvelle vague de violence, une trentaine de personnes ont été abattues –des narcotrafiquants nous disent les autorités- et une bonne cinquantaine de voitures et bus sont partis en fumés. Le mode opératoire est simple : les bandits se mettent sur les gros axes routiers (Linha Vermelha qui rejoint l’aéroport international, Avenida do Brasil qui coupe la ville d’est en ouest et Linha Amarela qui contourne Rio par l’ouest), ils arrêtent les voitures, font descendre les passagers et mettent le feu aux véhicules. Autant vous dire qu’il vaut mieux éviter toute protestation, la seule personne qui l’aurait fait aurait été abattu sur le champ…

Quelles sont les motivations exactes des narcotrafiquants ? Manifestement il s’agit d’une riposte à la création et au déploiement des unités de police pacificatrice (UPPs), j’ai déjà évoquées ces forces dans mon article de l’année dernière. Cette police est destinée à rétablir la paix et les services de l’Etat dans les favelas actuellement contrôlées par les trafiquants. Les UPPs ont permis le retour à l’ordre dans 13 favelas de la ville, l’objectif est d’en pacifier une centaine d’ici la Coupe du Monde de football qui aura lieu au Brésil en 2014. Evidemment, l’installation de ces UPP ne plaît pas aux narcotrafiquants qui perdent alors le contrôle de la favela et sont expulsés de celle-ci. D’après les autorités locales, deux des plus importants gangs rivaux de narcotrafiquants, le Comando Vermelho et l’ADA (« Amigos dos Amigos », amis des amis, sic !) ont conclu une trêve et essaient de s’unir pour empêcher le déploiement des UPPs. L’objectif des bandits est parait-il de semer la terreur à travers la ville pour que le gouvernement fasse machine arrière par rapport aux UPPs. Il est notamment prévu d’implanter prochainement des UPPs à Rocinha, la plus grande favela d’Amérique du Sud (160 000 à 200 000 habitants), actuellement contrôlée par le Comando Vermelho.

Le niveau de violence atteint aujourd’hui est le plus élevé depuis plusieurs années. Ce jeudi des véhicules blindés –des tanks de guerre !- ont pour la première fois été déployés à l’entrée d’une favela. Par ailleurs, près de 18 000 hommes et 1 600 voitures de police ont été mobilisées, les hélicoptères militaires sont également plus nombreux à voler dans le ciel Carioca.

Même si les affrontements ont débutés le week-end dernier, ce jeudi a été la journée la plus violente de la semaine. Ces violences sont devenues l’un des principaux sujets de discussion, les médias aidant beaucoup à instaurer un climat de peur. Toute la journée on a vu les mêmes images de véhicules qui brûlent tourner en boucle. Les événements sont présentés comme un « show », assez « américanisés » avec des hélicoptères des médias qui survolent les événements et les retransmettent en direct à la télé. Cela attire, je n’ai jamais vu autant de monde devant les écrans de télévision, sauf pendant la Coupe du Monde de football au mois de juin !

Je n’ai pas encore eu l’occasion d’en parler avec beaucoup de copains, mais plusieurs Brésiliens ont peur, certains appellent leurs proches lorsque ceux-ci passent dans des zones à risque. Sur les réseaux sociaux, les commentaires donnent généralement des nouvelles, j’ai par exemple lu « je suis bien arrivé chez moi » ou « je suis en vie ! ». Certains font part de leurs inquiétudes (« j’ai peur de sortir dans la rue ») ou leur ressenti avec par exemple « enfer de Rio de Janeiro » ou « je vis dans une guerre civile. Je pense que je ne suis pas à Rio de Janeiro au Brésil mais que je suis quelque part en Irak ». Même si la situation est critique, ce n’est pas la guerre civile à Rio, du moins pas partout dans la ville. Je pense que les situations sont vraiment tendues dans certaines favelas –et qu’on y assiste effectivement à des scènes de guerre-, je pense qu’il faut éviter les gros axes routiers évoqués plus haut, mais la situation semble plus normale dans le reste de la ville, même s’il y a des alertes à la bombe dans des quartiers riches. La situation est mauvaise, mais j’ai aussi l’impression que les médias ont réussis à affoler tout le monde…

Sur les réseaux sociaux je lis aussi d’autres réactions, plus posées et indiquant des opinions sur les sources du problème. Exemple : « cette situation est le résultat d’un gouvernement qui n’investit pas dans l’éducation et qui ne donne pas d’opportunités aux gens. Ces personnes n’ont pas de vision, pas d’avenir, et ils entrent dans le crime. Mais même le crime est devenu plus difficile à cause des milices d’un côté, et des UPPs de l’autre. Il ne leur reste que le terrorisme. ». C’est quelque chose que j’avais déjà évoqué l’année dernière, la violence seule ne permettra pas de résoudre les problèmes de sécurités et les trafics de drogue à Rio de Janeiro. Il faut une réelle volonté politique. Les discours et l’envoie de l’armée seront efficaces seulement s’il y a de gros efforts de fait en terme d’éducation –probablement le premier problème-, d’insertion sociale et professionnelle. Sans l’amélioration de ces points, les limites des UPPs seront rapidement atteintes. Sans éducation et sans travail, le spectre des alternatives aux trafics est nettement plus limité. Les gouvernements vont-ils enfin mettre des moyens complet –et non pas seulement de façade- pour éradiquer les violences et trafics de drogue ?

Je n’ai, évidemment, aucune photo de ces événements. Si vous souhaitez quelques « images chocs », vous pouvez voir les diaporamas du Monde ou du Figaro.

Quoi qu’il en soit et même si la situation est probablement exagérée par les médias, il est conseillé de ne pas trop se balader ce week-end. Ca tombe mal, j’accueille à partir de demain vendredi une française qui voyage à travers le monde et dont Rio de Janeiro est sa dernière étape !

Até logo,

5 Comments

  • Reply Yoyo 26 novembre 2010 at 10h11

    Effectivement, je trouve ca bien triste autant de violence.
    Tout ca ne part pas dans la bonne direction.
    Supprimer les nacotrafficant … ok. Mais il faut bien les remplacer par quelque chose.
    Parce que être femme de ménage a R$500 par mois a Rio, c’est tout même plus que difficile.
    Lula a fait tout de même évoluer la situation de l’éducation, car le nombre d’anaphabete diminue beaucoup tous les ans.
    Mais ce problème est loin d’être résolu, il faudrait qu’ils pensent a développer les emplois qualifié, mais malheuresement, ce n’est pas la priorité des brésilien qui placent en priorité la sécurité et la santé.
    Dilma elle même a dit : L’éducation est un problème en voie de résolution. !!!!

  • Reply Michele 26 novembre 2010 at 17h11

    Encore un des problemes de la societe bresilienne dont on n´a pas entendu parle pendant la campagne electorale et qui reaparaissent apres la victoire du PT……

  • Reply Cedric 11 janvier 2011 at 8h01

    Je réagi bien tard sur le sujet j’en ai conscience et je n’ai pas vécu les évènements je me garderai donc bien de porter un jugement trop hâtif mais est ce que le déploiement de force de la police (et de l’armée) n’est pas plus démonstratif qu’efficace ?
    Ce que je veux dire c’est qu’il ne faut pas être un stratège militaire pour savoir que l’emploi de chars dans une guérilla urbaine au coeur des favelas est presque contre productif au final est ce que l’idée n’est pas plus d’envoyer un message d’une part aux groupes de narco pour dire « on se laissera pas faire » et d’autre part à la population pour dire « regardez on est capable de se rendre compte de l’ampleur des problèmes et de mettre les moyens pour y remedier ».
    N’oublions pas que le gouvernement doit avoir peur en se souvenant de l’exemple mexicains: les autorités n’ont pas pris de mesures suffisamment tôt et un pays qui étaient parmi les émergents destinés à réussir se retrouve dans le classement des endroits les plus dangereux au monde où certains bastions de narco sont réellement devenus indéracinables.

  • Reply St 12 janvier 2011 at 0h01

    Cédric,

    Merci pour ton commentaire, et bien d’accord avec toi : les chars étaient la avant tout pour « impressionner » et faire passer des messages.
    Ca n’en reste pas moins…impressionnant, justement !

    Até logo,

  • Reply Cedric 12 janvier 2011 at 6h01

    Je veux bien te croire,
    merci en tout cas pour ton témoignage sur place

    take care

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