Depuis une dizaine de jours, je regrette de ne pas être au Brésil. Pas pour suivre la Coupe des Confédérations de football, mais pour suivre, vivre et participer à un mouvement de protestation de grande ampleur. Plus de 20 ans que le Brésil n’avait pas vécu ça, et pourtant c’est plus que nécessaire.

Des manifestations ont eu lieu dans plus de 100 villes Brésiliennes – Crédits photos inconnus
Les évènements actuels ont commencés suite à l’augmentation du prix des transports en communs dans plusieurs Etats. Une augmentation de 20 centimes de Real (8 cts d’euro), une goutte qui a fait déborder le vase. Trop c’est trop. Ce n’est pas cette (nouvelle) augmentation qui a embrasée le Brésil ces derniers jours, mais une liste bien plus complètes des problèmes du Brésil : un coût de la vie très élevé alors que les salaires sont faibles, la corruption qui coûte 50 milliards de dollars par an, l’insécurité, des infrastructures de transport insuffisantes, un manque criant d’investissement dans l’éducation et la santé, etc. Alors que dans le même temps le pays a dépensé 10 milliards d’euros pour l’organisation de la Coupe du Monde 2014, un évènement pourtant loin des préoccupations et des souhaits des Brésiliens. Non, le Brésil n’est pas qu’un pays de football.

Il y a bien d’autres insatisfactions que les 20 cts d’augmentation – Crédits Jennifer Winter
Lorsque j’étais au Brésil, j’ai souvent été impressionné par la « capacité » des Brésiliens à tout accepter : payer beaucoup d’impôts, payer très chers de nombreux produits de la vie quotidienne et tous les problèmes énoncés plus hauts (les manques au niveau de la santé, de l’éducation, des transports, etc.). Les Brésiliens acceptent tout, ou presque, sans réclamer. Bien loin de notre culture française… Alors que je n’ai jamais, absolument jamais, manifesté en France, je disais régulièrement à des amis brésiliens « sortez dans la rue, allez manifester, ne tolérez pas plus longtemps cette situation ». Mais la culture Brésilienne est différente, leur histoire est différente et avec les Brésiliens c’est souvent « tá tudo muito bom, tá tudo muito bem » (« tout est bon, tout va bien »).
Depuis quelques jours, les Brésiliens sortent donc dans la rue pour protester. Ca me fait plaisir pour eux, pour le Brésil. Ce mouvement est vraiment nécessaire.

« On n’a jamais vu autant de gens honnêtes au congrès », une manière de dénoncer la corruption des politiques – Crédits photo inconnus
Les réseaux sociaux ont joués un rôle très important dans cette mobilisation –ni syndicats ni partis politiques apparaissent dans les cortèges. Depuis dix jours, plus de 90% des messages de mes amis Brésiliens sur Facebook concernent ces protestations.

La police et les manifestants face à face – Crédits photo inconnus
Les manifestations ont touchées une centaine de villes à travers le Brésil avec plus d’un million de personnes dans les rues certains jours. Il y a, bien malheureusement, eu des débordements de manifestants, ou plus exactement certains casseurs ont profité des manifestations pour mettre le bazar. Il y a eu davantage encore de débordements du côté de la police. Une police qui n’est absolument pas préparée à ce type de d’évènement et qui réagit souvent de façon violente : tirs de balles de caoutchouc (et même balles réelles dans certains cas) ou de gaz lacrymogènes vers des manifestants calmes qui chante l’hymne national ou qui scandent « sans violence ».
Jeudi soir les manifestations ont encore dégénérées dans plusieurs villes du pays. D’après mes informations il s’agit, comme très souvent, d’une infime minorité qui profite de l’évènement pour se défouler. C’est extrêmement dommage car ça ternit l’ensemble du mouvement. Et une nouvelle fois la police semble avoir largement abusé de ses forces en jetant des gaz lacrymogène et du piment sur les gens qui rentraient tranquillement chez eux après les manifestations (plusieurs amis ont été touchés).

En Une du New York Times du 19 juin, un policier Brésilien envoie un gaz à la figure d’une manifestante
L’un des principaux thèmes des manifestations est : pourquoi le Brésil dépense-t-il des dizaines de milliards de Reais pour la Coupe du Monde de football et les Jeux Olympiques alors que les services publics de bases concernant l’éducation et la santé sont extrêmement mauvais ? Ces dépensent étaient connus, mais leurs montants ne fait qu’augmenter pour atteindre aujourd’hui des valeurs hallucinantes. La Coupe du Monde 2014 va coûter (au minimum) 10 milliards d’euros ; l’Allemagne avait dépensée 3 fois moins en 2006 et l’Afrique du Sud plus de 4 fois moins en 2010. Les seuls stades vont coûter plus de 2,5 milliards d’euros au Brésil ; celui de Brasília –ou le football n’est pas très présent- va coûter au moins 2 fois plus qu’initialement prévu, la facture devrait être entre 500 et 600 millions d’euros.
Soyons clair, il y a bien d’autres priorités au Brésil –éducation, santé, transport et sécurité par exemple- que de faire de beaux stades de football.

Des médias qui tournent le dos aux milliers de manifestants pour montrer seulement les actes de violences commis par une infime minorité – Crédits image inconnus
Le traitement médiatique de ces manifestations créé également la polémique au Brésil. La Globo, groupe médiatique présent sur différents supports et qui possède plusieurs chaines de télévision qui en fait le second plus important réseau de télévision privé du monde, a une lecture extrêmement orientée des évènements actuels. Il est souvent dit qu’il existe un accord tacite entre le gouvernement et la Globo depuis la fin de la dictature. En tout cas ils parlent peu des manifestants et beaucoup plus des casseurs… Des appels à des « journées sans la Globo » ont été lancés sur les réseaux sociaux.

Appel à ne pas regarder les chaines de la Globo le 24 juin – Crédits image inconnus
Je suis, pour plusieurs raisons, déçu de ne pas être aux côtés des brésiliens pour défiler avec eux. Tout d’abord car j’aurai aimé leur montrer activement mon soutien. J’ai vécu plus de 3 ans au Brésil et je suis content qu’ils soient dans la rue car je pense que c’est vraiment nécessaire, c’est donc dommage de ne pas pouvoir les accompagner physiquement. Ensuite, ma déception est dû au fait qu’il est toujours intéressant de vivre de tels « tournants » d’un pays, de participer aux grandes évolutions d’une société. Même si sur ce point il reste encore beaucoup à faire pour inscrire le mouvement actuel dans l’Histoire du Brésil… Croisons les doigts !
Até logo,
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